Le Festival du Comminges
Les origines du Festival
Entouré d’amis commingeois, Paul Guilloux fonde et préside en 1964 l’Association des Amis de l’orgue de Saint-Bertrand de Comminges. Elève d’Auguste Fauchard, lui-même disciple de Widor, Guilmant, d’Indy et Vierne, il est alors depuis une quinzaine d’années titulaire du grand orgue de la cathédrale de Bourges, après avoir tenu l’orgue de chœur de la cathédrale de Nantes. Mais il se passionne pour l’instrument qu’il retrouve lors de ses vacances à Saint-Bertrand de Comminges, et qu’il espère pouvoir faire restaurer grâce aux concerts qu’il y organise durant la saison estivale. La presse salue le grand talent de l’interprète et se fait l’écho de l’œuvre accomplie en vue d’un prochain relevage. Mais le destin en décide autrement en ce triste jour du jeudi saint, le 7 avril 1966, qui marquera la mort de Paul Guilloux en sa maison de Saint-Bertrand, laissant l’orgue dans un grand silence.
Paul Guilloux
Quelque temps auparavant, André Malraux, à qui le Général de Gaulle avait confié en 1959 le premier ministère des Affaires culturelles, séjournait dans la région : Hippolyte Lioux, père de son épouse la grande pianiste Madeleine Malraux, vient de décéder à Toulouse, et l’inhumation a lieu dans un hameau voisin de Saint-Bertrand. Un ami de la famille Lioux, Pierre Lacroix, musicien et industriel connaissant lui-même le Général, se propose de faire visiter la cathédrale et son orgue au ministre : l’entente est parfaite et un déjeuner à la sous-préfecture finira de convaincre le jeune pianiste de promettre au grand écrivain la création et la pérennisation d’un festival et d’une académie, lorsque les circonstances seront favorables.
C’est le docteur Paul Duran, récemment disparu, qui prend la succession de Paul Guilloux aux claviers de l’orgue comme à la présidence de l’association, jusqu’à l’élection de Louise Safont qui, avec sa fille Denise et un groupe d’amis saint-bertranais dont Jean Castex, Jean Ségonzac et Frédéric Ribouleau, gère activement l’organisation des concerts. Malgré son piètre état, l’instrument attire une nombreuse assistance sous les voûtes de la cathédrale, à raison de deux soirées chaque été, avec des organistes comme Jean-Jacques Grunenwald, Odile Pierre, Jean Boyer, Roger Saorgin ou André Pagenel, mais également le trompettiste Albert Calvayrac ou la chanteuse Maria Bratianu.
En 1973, c’est un jeune organiste et claveciniste qui est invité, encore étudiant au Conservatoire de Paris, Jean-Patrice Brosse, qui s’apprête alors à partir pour une grande tournée de concerts aux Etats-Unis, au Canada et dans tous les pays d’Amérique du Sud. Il a également à son actif l’organisation de concerts dans sa ville natale du Mans, et connait bien le milieu culturel parisien : il saurait faire partager son expérience professionnelle si un projet se dessinait.
Jean-Patrice Brosse joue le Concerto de Poulenc en 1977
avec l’Orchestre du Capitole de Toulouse
Photo Frédéric Munoz
Un grand dessein en évolution
Sa rencontre avec l’association commingeoise est fructueuse, et décision est prise de développer la structure, mais il faut avant tout procéder au relevage complet de l’instrument historique, la dernière restauration restant inaboutie. Une année de préparation sera nécessaire pour rassembler les forces vives de ce grand dessein autour de Guy Uchan, homme d’une grande culture alors maire de Saint-Bertrand, qui confie à Pierre Lacroix en 1974 la mission de restauration de l’orgue et de sa conservation, décision votée à l’unanimité par le Conseil municipal, confirmée par les Conseils municipaux successifs et par la Direction de la Musique au Ministère de la Culture.
Mais le projet est brûlant : un vaste mouvement de restaurations d’orgues se développe dans les années soixante-dix, principalement dans la région occitane sous l’impulsion magistrale de l’organiste toulousain Xavier Darasse, et l’idée dominante et souvent justifiée consiste à reconstituer fidèlement l’instrument tel qu’il était à l’époque de sa construction. Mais des temps si lointains de sa conception l’orgue de Saint-Bertrand n’a rigoureusement rien conservé en dehors d’un buffet renaissance unique au monde datant de 1550. Diverses transformations se sont succédé au cours des quatre siècles qui ont suivi, laissant chacune un souvenir daté de tuyaux, de mécanique et d’éléments très variés. De multiples possibilités sont alors envisagées, les unes prônant un retour à un orgue primitif dont nul n’a idée, d’autres la reconstitution de ce qu’il aurait pu être à l’âge d’or de la musique française sous Louis XIV, d’autres consistant à développer ce que le Romantisme a laissé, d’autres enfin suggérant un « orgue à tout jouer », synthèse aujourd’hui souvent et heureusement abandonnée.
L’orgue en 1904
A la suite de nombreuses consultations auprès des experts et des organistes les plus chevronnés comme Georges Lhôte ou Michel Chapuis, l’option la plus raisonnable revient à utiliser un maximum d’éléments historiques (sommiers du grand-orgue et de pédale et douze jeux anciens fragmentaires) afin de réaliser un instrument qui réunisse les principales caractéristiques des factures française et germanique du XVIII° siècle, mais également ouvert à des répertoires plus tardifs, à tout le moins instrument qui permette autour de lui la création d’un festival de musiques variées.
Face à tous ces impératifs, les pouvoirs publics ne consentent aucune aide au départ, et l’Association des amis de l’orgue devra seule assumer l’audace de l’inventivité et le coût financier de l’opération. Le maire Guy Uchan procède au montage financier, aidé par Pierre Lacroix qui avance les sommes permettant d’honorer les premières factures.
Guy Uchan
De précieux amis influents sont sollicités comme Henri Sarramon ou les préfets Pierre Doueil et Yves-Bertrand Burgalat, le relevage est confié à l’artisan organier Jean-Pierre Zwiderski plutôt qu’à une grande firme, une vaste campagne de souscription est lancée permettant de réunir progressivement 75 % des fonds nécessaires, et l’instrument retrouve sa voix après une première tranche de restauration lors de l’ouverture de la deuxième saison du Festival du Comminges, sous les doigts de Pierre Cochereau qui en assure l’inauguration le 10 juillet 1976.
Ce soir-là Guy Uchan prononce une allocution très émouvante, et promeut Louise et Denise Safont, Jean Castex, futur secrétaire perpétuel de l’Académie Julien Sacaze, Paul Duran, Pierre Lacroix et Jean-Patrice Brosse dans l’Ordre des Citoyens extérieurs de Saint-Bertrand, avec la remise d’une belle médaille de bronze. Guy Uchan est bien loin de se douter alors que quarante ans plus tard c’est sa fille Marie-Claire qui reprendrait ses fonctions à la tête de la commune de Saint-Bertrand, pérennisant l’aide au festival à la mesure de son développement !
La médaille de l’Ordre des citoyens extérieurs de Saint-Bertrand
L’année précédente avait connu la première programmation établie par Jean-Patrice Brosse, promu directeur artistique, qui avait invité une poignée d’amis organistes, pianistes et chanteurs.
Jean-Patrice Brosse et François Lépargneur collent les affiches du premier festival en 1975.
Photo Dominique Barthe
Les saisons suivantes verront le développement progressif du festival avec une vitesse de croisière de quinze puis rapidement vingt concerts estivaux. Alors que Pierre Lacroix prend la présidence de l’association, bientôt reconnue d’utilité publique, une étape importante est franchie dans les années 80 lorsque la Fondation France Télécom, grâce au soutien indéfectible de son représentant Francis Salvat, honore la structure par un contrat régulièrement renouvelé, lui permettant d’engager des artistes invités des plus grandes scènes mondiales comme Teresa Berganza, Christa Ludwig, Victoria de Los Angeles, Gundula Janowitz ou Gwyneth Jones, mais également Georges Cziffra, Byron Janis, Alexis Weissenberg, Ivry Gitlis ou Paul Badura-Skoda.
L’orgue de Saint-Just de Valcabrère
C’est ainsi qu’au long de quarante années d’intenses productions seront engagés, à l’occasion de près de six cents concerts, plus de six cents solistes de rang international parmi des milliers de musiciens, faisant du Festival du Comminges un acteur important du monde du spectacle, mais aussi de l’économie régionale par les retombées financières considérables que génèrent ses auditeurs. Par ailleurs le festival s’est doté d’une académie de musique baroque : des centaines d’étudiants académiciens, venus de plus de trente pays puis repartis dispenser un précieux enseignement, se perfectionnent auprès de Michel Chapuis et André Stricker qui y enseignent l’orgue, Jean Saint-Arroman la musicologie, Denise Dupleix, Paul Esswood et bientôt Guillemette Laurens le chant baroque et Marcel Pérès le chant grégorien. Les paisibles cités de Saint-Bertrand et de Valcabrère se transforment l’été en une véritable ruche, et les instruments sont pris d’assaut : il devient urgent d’équiper la basilique Saint-Just d’un orgue, dont la facture d’esthétique allemande sera confiée à Gerhard Grenzing.
L’orgue de l’église de Valcabrère
L’église paroissiale de Valcabrère est elle aussi dotée d’un ravissant petit orgue, tout comme la chapelle Saint-Julien qui accueille de surcroît un instrument italien et un clavecin.
Le clavecin Hugues Rateau
En 1985 le grand orgue de la cathédrale est maintenant restauré, de nombreux disques y sont enregistrés, distribués dans plus de trente pays, prolongeant la renommée de Saint-Bertrand de Comminges jusqu’aux extrémités du monde, et un collège paroissial d’organistes professionnels, dont Elisabeth Amalric et Gilbert Vergé-Borderolle, est constitué, œuvrant pour le prestige de l’instrument et du site. C’est alors également que plusieurs communes se proposent de recevoir les soirées de concerts, à l’instar de Carole Delga, alors maire de Martres-Tolosane. Avec Muret au nord et Luchon et même Vielha au sud, le festival ainsi décentralisé se répand peu à peu sur tout le territoire commingeois.
Si la musique vivante ancienne, romantique et contemporaine constitue l’essence de la programmation, la création elle-même n’est pas délaissée grâce à une politique de commandes d’œuvres, spécifiquement écrites pour l’orgue de Saint-Bertrand de Comminges, aux plus grands compositeurs de notre temps : Guillou, Langlais, Sauguet, Damase, Françaix, Castérède, Chaynes, Chailley, d’Ormesson, Landowski, Escaich, Beffa, Campo et tant d’autres verront leurs compositions créées lors des soirées et parfois enregistrées et éditées. Toujours dans ce domaine, Pierre Lacroix fonde, à titre privé mais dans le cadre de la saison des concerts, un concours de composition biennal qui couronnera de nombreux lauréats et suscitera des dizaines d’œuvres également écrites pour l’orgue de Saint-Bertrand.
Pierre Lacroix
Le fondateur Pierre Lacroix
Bien que parisien d’origine, Pierre Lacroix passe toute son enfance dans le Sud-ouest où est installée sa famille. Il poursuit ses études primaires à Mazères-sur-Salat, puis secondaires à l’Ecole des Roches. S’orientant vers la carrière scientifique, il part ensuite pour Lausanne étudier les mathématiques et la physique à l’Institut de technologie Lémania, avant de rejoindre l’Ecole supérieure de physique et chimie de Toulouse. Proche de l’usine familiale fabriquant le Riz La +, spécialisée dans le papier à cigarette et le papier bible, Pierre Lacroix crée à Mazères la société Steel fabriquant des automatismes électroniques destinés à l’industrie hydraulique ou aéronautique. Cette activité scientifique n’empêche pas Pierre Lacroix de se vouer depuis l’enfance à sa passion pour la musique ni de travailler avec ferveur son piano. Pourtant les études sont décevantes tandis qu’il se forge une technique irréprochable fondée sur la concentration, la détente et la couleur sonore. D’une nature introvertie, Pierre Lacroix trouve dans l’improvisation et la solitude de la création la forme idéale d’expression de son talent. Il se perfectionne auprès de Marguerite Long qui, consciente de l’originalité de sa personnalité, l’encourage dans cette voie inhabituelle ; puis il étudie l’harmonie avec Maurice Duruflé et la composition avec Nadia Boulanger dans le cadre de l’Ecole Américaine de Fontainebleau. Plusieurs de ces improvisations enregistrées au hasard de l’inspiration figurent dans un triple coffret récemment édité.
38 Préludes improvisés au piano par Pierre Lacroix
Dès son enfance Pierre Lacroix baigne dans un univers culturel particulièrement riche. Si le côté paternel est plutôt marqué par la vie mondaine et la gestion de l’industrie papetière dont les origines remontent au Consulat, sa grand-mère Lucie n’en est pas moins une remarquable cantatrice qui, dit-on, rivalise avec Lily Pons à l’Opéra de Paris. Mais c’est la famille de sa mère, Fernande Lacroix, grande résistante et amie du Général de Gaulle, qui lui donnera le goût de l’originalité et de la connaissance. Sa grand-mère Jehanne Prat organisait des soirées très proustiennes relatées par le Figaro dans sa résidence parisienne du Pavillon des Muses situé boulevard Maillot, qu’elle avait acheté à Robert de Montesquiou et que fréquentaient André Gide, Tristan Bernard et Jacques Hébertot. Elle avait pour frère Maurice Leblanc, auteur d’Arsène Lupin, et pour sœur Georgette Leblanc, fantasque tragédienne, cantatrice, également vedette de cinéma sous la conduite de Marcel L’Herbier, créatrice du Pelléas et Mélisande de Maurice Maeterlinck avec qui elle partageait sa vie entre son abbaye de Saint-Wandrille, ses villas niçoise et parisienne et plus tard son château de Tancarville.
Grâce à la direction sans faille durant plus de trente cinq années de son président fondateur, le Festival du Comminges est ardemment soutenu par de grandes personnalités du monde musical restées ou devenues des amis proches et qui séjournent volontiers en son domaine de Beauvoir, comme Aldo Ciccolini, Marie-Claire Alain, Alfred Brendel, Byron Janis, Gustav Leonhardt, Rafael Puyana, Georges Cziffra, Nikita Magaloff, Teresa Berganza, Victoria de Los Angeles, Sviatoslav Richter ou Mstislav Rostropovich, et du milieu intellectuel comme Jean-Pierre Changeux, Georges Duby, André Lebeau, Pierre Emmanuel, Jean Favier, Emmanuel de Margerie, Joseph Ratzinger, Marguerite Yourcenar, Jacqueline de Romilly, Jean d’Ormesson, Maurice Druon, Simone Veil, Pierre Rosenberg, mais aussi Alice Sapritch ou les souverains danois.
Président d’honneur du Festival, Pierre Lacroix est Chevalier de l’Ordre de la Légion d’Honneur, Grand Officier du Mérite National, Officier des Palmes Académiques et Grand Croix du Mérite et Dévouement Français.
L’avenir du Festival
Le Festival du Comminges vogue depuis quarante années dans le concert des grandes manifestations culturelles de niveau international.
Toujours soutenu par l’Etat, la Région, le Département et les Communautés de communes, il reçoit une aide précieuse, logistique et financière, de chacune des municipalités accueillant les concerts : Saint-Bertrand, Valcabrère, Saint-Gaudens, Martres-Tolosane, Luchon, L’Isle-en-Dodon. Il bénéficie en outre d’un partenariat efficace avec La Dépêche du Midi et la firme de pianos Parisot.
Pour cette année charnière, le festival reste fidèle à son identité classique tout en s’ouvrant à de nouvelles musiques et de nouveaux publics, mais aussi en valorisant le magnifique patrimoine architectural régional par des concerts dominicaux très festifs donnés dans les églises romanes du Comminges, accueillis par les communes de Montsaunès, Aulon, Ganties, Génos, Saint-Pé-d’Ardet, Saint-Béat, Saint-Aventin et Garin.
Jean-Louis Ducassé a assumé la présidence du Festival de 2012 à 2014 et c’est maintenant Francine Antona-Causse, membre du conseil d’administration depuis les premières années avec son mari Jacques trop tôt disparu, qui préside aux destinées d’une organisation tournée vers l’avenir, soutenue par des amis fidèles et loyaux et toujours depuis l’origine sous la direction artistique de Jean-Patrice Brosse.