Jean-Sébastien Bach l’art de la Fugue : le grand dessein

Ueber dieser Fuge, wo der Nahme B.A.C.H. im Contrasubject angebracht worden, ist der Verfasser gestorben.

« Sur cette fugue, où le nom B.A.C.H. est employé comme contresujet, est mort l’auteur ».

Jean-Sébastien Bach rend son âme à Dieu ce 28 juillet 1750, victime à 65 ans d’une attaque d’apoplexie, devenu aveugle et laissant inachevé son ultime chef-d’œuvre, L’Art de la Fugue, ensemble de dix-neuf contrepoints comprenant quinze fugues et quatre canons, réalisés à partir d’un thème unique.

C’est là l’image que l’historiographie a forgée à partir de l’obituaire de Mitzler en 1754, de la première biographie par Forkel en 1802 puis celle de Spitta de 1873, attribuant ce court texte nécrologique au deuxième fils de Sébastien, Carl Philipp Emanuel.

L’accès aux sources et les innombrables études menées depuis ont permis d’affiner ou de corriger certaines données, de conclure à des certitudes, parfois de nimber l’ouvrage de mystère et entretenir de véritables énigmes : l’œuvre est inachevée mais on ne sait dans quelle mesure, son plan n’est pas formellement établi et elle n’aurait pas de destination instrumentale précise.

 Le contexte historique apporte un éclairage sur les aspirations de Bach durant les dix dernières années de son existence, la nature de ses créations évoluant vers des préoccupations toujours plus spéculatives.

En effet, si les cours princières qui l’employaient dans sa jeunesse, à Arnstadt, Mühlhausen, Weimar ou  Köthen, satisfaisaient chez un jeune homme au caractère affirmé le goût d’une relative liberté, mais aussi des plaisirs qu’offre une société polie et cosmopolite et d’une diversité des formes musicales qu’il lui était donné d’aborder, l’arrivée à Leipzig en 1723 ne laisse pas présager un avenir particulièrement radieux. Il n’y est pas désiré, dépend de fonctionnaires butés et grossiers et s’installe dans une déprimante institution qui lui fournira en musiciens de fort médiocres élèves. Bien qu’il soit considéré par l’élite artistique européenne comme un exceptionnel virtuose et certainement le plus grand contrapuntiste vivant, bien supérieur en cela à Haendel ou Telemann, on lui impose des tâches indignes de surveillant de classe ou de professeur de latin pour moutards arriérés, mais surtout on commence à mettre en doute, sinon l’élévation de son génie, du moins la pertinence de son style alors que s’élèvent les astres de l’Empfindsamkeit, de l’Aufklärung et du Sturm und Drang, autant dire les prémices du Classicisme et du futur Romantisme, que ses propres fils Carl Philipp Emanuel, Johann Christian, Johann Christoph Friedrich et Wilhelm Friedemann illustrent déjà aux quatre coins de l’Europe. Pourtant Leipzig lui donne de grands sujets de satisfaction lorsqu’il joue ses exubérants concertos pour clavecin dans le cadre du Collegium Musicum dont il assure la direction, ou bien dans l’exécution à l’église Saint-Nicolas ou à Saint-Thomas de l’immense corpus de ses 4 passions, 196 cantates et tant d’autres pages religieuses.

Mais alors, plutôt que de revenir vers cet art léger dont l’esprit galant revient à la mode et qu’il avait pratiqué dans ses jeunes années lorsqu’il transcrivait tel concerto de Vivaldi ou de Marcello, ou bien qu’il composait de fascinants trios du plus pur rococo pour l’orgue ou les cordes en sonates, il se referme sur lui-même, tourne le dos à l’avenir et, dans ce qu’il ne sait pas encore être la dernière décennie de sa vie, ne s’adonne pratiquement plus qu’à un art dont la poésie faite d’abstraction spéculative avait été pratiquée longtemps auparavant par les grands maîtres européens de la fin du Gothique.

C’est par une monumentale messe pour orgue qu’il entame cet ultime chemin, la Clavierübung III, mise au point et éditée en 1739, prodigieuse architecture fondée sur la science des proportions, la numérologie, la logique combinatoire, en écho aux doctrines néoplatoniciennes de la Renaissance. Deux ans plus tard, ce constructivisme musical s’incarne cette fois au clavecin dans les Variations Goldberg, premier des quatre temples dédiés à la variation sur un thème avec les Variations Canoniques, L’Offrande Musicale et L’Art de la Fugue. En 1744, il regroupe en un deuxième volume 24 nouveaux préludes et fugues qu’il avait conçus depuis le premier livre du Clavier bien tempéré, puis se plonge dans l’univers magique et vertigineux du canon avec les Variations canoniques qu’il destine à l’orgue et communique, en 1747 en guise d’intronisation, à une société savante dirigée par son ancien élève Lorenz Christoph Mizler. Cette même année le voit faire le voyage à Potsdam, accueilli sur l’entremise de son fils par le roi musicien Frédéric II de Prusse, qui sera à l’origine d’un nouveau chef-d’œuvre de science et de complexité : L’Offrande musicale. Et finalement, tout en complétant sa Messe en si mineur, ses 18 Chorals de Leipzig et un certain nombre de savants canons à 6, 7 et 8 voix, il rassemble ses esquisses et tente de mettre au propre le projet déjà ancien d’une série de variations fuguées sur un thème unique et simple auquel il va faire subir toutes sortes de métamorphoses en imitations.

Le portrait de Jean-Sébastien Bach réalisé en 1746 puis recopié deux ans plus tard par Elias Gottlob Haussmann montre un homme de 61 ans bien en chair, d’un puissant équilibre (il est père de plus de vingt enfants), au regard d’une intelligence joyeuse, profonde et pénétrante. Quels problèmes de santé a-t-il connus pour disparaître soudainement, jeune encore, si peu de temps après ? Hormis une suspicion d’uricémie ou de diabète dus à un régime de bon vivant que trahit son embonpoint, on ne lui connait que cette double et fatale intervention de chirurgie oculaire en avril 1750, par un charlatan nommé Taylor qui devait également priver Haendel de la vue. L’opération aurait-elle provoqué une septicémie puisque son chirurgien évoque une altération vasculaire du fond de l’œil ? Toujours est-il que la belle énergie dont il avait fait preuve depuis son retour de Potsdam va se trouver d’abord ralentie par un problème de cataracte qui lui opacifie la vue et le force peu à peu à dicter ses compositions à des proches, l’obligeant à modifier considérablement des projets sur lesquels il travaillait de longue date, puis subitement anéantie au bout de deux ans par une fin précoce qu’ont dû pressentir les autorités qui avaient déjà cyniquement envisagé sa succession à Leipzig.

On sait par l’analyse des filigranes, du papier et de l’encre que les premières esquisses de fugues appartenant au corpus datent du début des années quarante, une correspondance entre Wilhelm Friedemann et son père faisant même mention du thème dès 1736-1738. Huit fugues et un canon sont déjà en cours d’élaboration en 1742 et Bach interrompt cinq ans plus tard un projet comportant alors une vingtaine de pièces inlassablement modifiées, pour subitement se consacrer à L’Offrande musicale. La dernière fugue est alors laissée en chantier, s’interrompant précisément après le développement du troisième sujet écrit sur le nom du compositeur (selon l’usage allemand B = si bémol, A = la, C = do, H = si), apposé en guise d’autographe, à l’endroit où ne demandait qu’à entrer et se superposer aux trois premiers un quatrième sujet qui n’était autre que le grand thème de l’œuvre. Cette fugue portera la mention a tre soggetti (à trois sujets), probablement dictée par Philipp Emanuel accoutumé à l’italien tandis que son père n’employait que le latin. Le graphisme très maîtrisé est d’ailleurs d’un musicien en pleine possession de ses moyens, contrairement à celui des dernières notes de la Messe en si qui trahissent la fatigue et un sérieux déficit visuel.

Telle qu’elle se présente au travers des différents manuscrits et des deux gravures posthumes, le tout dans un ordre assez anarchique, l’œuvre comporte onze fugues achevées, quatre canons (l’un d’eux sous deux versions différentes), deux séries de deux fugues miroirs, une série de deux parmi les précédentes adaptée pour deux clavecins, et une fugue laissée inachevée. L’édition originale de 1751 propose même une seconde version d’un des contrepoints et, en supplément, pour compenser l’inachèvement de la dernière fugue, le choral Vor deinen Thron, « Devant ton trône je vais comparaître », que Bach aveugle avait dicté à son gendre Altnikol, et qui fait figure d’intrus dans cet ensemble, nonobstant un touchant adieu au monde.

On peut à juste titre penser que Bach, conscient du fait que ses problèmes de santé allaient s’aggravant, a préféré laisser symboliquement inachevé le dernier contrepoint prévu dans son projet après y avoir apposé sa signature musicale, contrepoint qui dans l’édition occupait 5 pages sur les 6 qui lui étaient réservées avant les canons. L’auteur offrait ainsi à ses futurs interprètes une ouverture vers l’éternité et l’opportunité de pérenniser chacun à sa façon l’œuvre du maître : quaerando invenietis, « cherchez et vous trouverez », avait-il écrit en marge d’un énigmatique canon de L’Offrande musicale. Bien des tâcherons ont depuis nourri leur ego avec plus ou moins de bonheur en mettant leurs pas dans ceux du grand homme, Boëly le premier. Bach signait et interrompait alors son œuvre à la 239ème mesure (somme des chiffres = 14) d’une quatorzième fugue (en comptant pour une seule fugue chacune des deux paires de miroirs), quatorze représentant également la somme numérique des lettres de son nom (B = 2, A = 1, C = 3, H = 8).

Il est possible aussi que la fugue inachevée ne fasse pas partie de l’ensemble, l’adéquation du grand thème fantôme étant le fruit du hasard, ou bien qu’une version achevée ait bien existé mais soit restée introuvable. N’appartiendraient pas non plus à l’œuvre les deux fugues pour deux clavecins n° 22 et 23, brillante adaptation à quatre parties des fugues miroirs à trois voix n° 20 et 21, mais au caractère concertant étranger à la rigueur contrapuntique du corpus.

Mais on ne peut exclure non plus que, pris de cours par la maladie, il n’ait pu mener à bien un projet autrement ambitieux, que confirmeraient certains indices assez intrigants qui n’ont cessé depuis d’alimenter la polémique.

En ce 28 juillet 1750, Jean-Sébastien laisse une famille désemparée, moralement et matériellement. Anna Magdalena et les enfants réunis tentent de rassembler au plus vite les derniers manuscrits laissés par le compositeur afin de les confier à l’imprimeur, en plus des planches gravées qu’il avait commencé à corriger : il s’ensuit un grand désordre de pièces étrangères à l’ensemble, de manques, de doublons et de faux titres. Ainsi Emanuel, qui n’avait pas vu son père depuis trois ans et prend en main la situation non sans quelques maladresses, publie-t-il le 7 mai 1751 dans les Leipziger Zeitungen les Avertissements concernant Die Kunst der fuga, in 24. Exempeln, « L’Art de la Fugue, en 24 exemples » suivis le 1er juin d’un bulletin de souscription. Trois ans plus tard, Carl Philipp Emanuel et Agricola rédigeant le nécrologe du Cantor indiquent que, « d’après les brouillons retrouvés », en raison de sa santé, Bach « n’a pu achever l’avant-dernière fugue et élaborer tout à fait la dernière qui devait avoir quatre thèmes, rectus et inversus ». D’où l’on pourrait déduire que de quatre quadruples fugues prévues, seule demeurerait « l’avant-dernière », inachevée, aux sujets rectus ; sa jumelle (avec les mêmes thèmes mais inversés, parfaitement réalisable à l’exemple des fugues 10 et 11) et une dernière paire (rectus et inversus) restant abandonnées à l’état d’ébauche sans que Bach n’en ait prévu la gravure.

L’inversion des thèmes par rapport à la médiante n’est pas l’apanage des seules fugues miroirs, mais se vérifie tout au long de l’œuvre : la moitié des contrepoints existants (moins un, le premier du groupe des contrefugues) exposent le grand thème droit (rectus = ré, la, fa, ré), l’autre moitié le présentent inversé (inversus = la, ré, fa, la). Il se peut que ce contrepoint fantôme au thème droit et théoriquement placé en cinquième position n’ait pas été retrouvé lors de la recherche des documents (a contrario le n° 2, inversus présent dans l’édition, ne figure pas dans le manuscrit, la fugue n° 10 est imprimée dans deux versions différentes, le canon par augmentation présente également deux modèles manuscrits dissemblables et la fugue inachevée est seule à être écrite sur deux portées, dans un unique manuscrit indépendant).

On peut se demander pourquoi Emanuel annonce (et éditera) un groupe de 24 exemples de traitement d’un thème en imitation, alors qu’il ne dispose que de 20 contrepoints répondant véritablement au projet (12 fugues, 2 doubles paires de miroirs et 4 canons), les quatre autres étant, en manière de remplissage, l’un une première ébauche du contrepoint 10 (pourquoi n’avoir alors pas fait graver la belle version manuscrite du canon par augmentation ?), l’autre un choral sans lien avec l’œuvre et les deux derniers un génial fugato concertant à 4 voix reprenant une paire de fugues miroirs à 3, aucunement exemplaire d’un travail contrapuntique et dont le caractère extraverti est étranger à l’entreprise. A-t-il dû renoncer à ce nombre de pièces accomplies tout en voulant rester fidèle à ce qu’il eût su d’un grand projet de son père ?

Ce qui reste une hypothèse trouverait un argument supplémentaire dans l’observation que la plupart des compositions que le grand architecte a réunies sont groupées par multiples de trois, symbole trinitaire omniprésent chez lui : 3 Sonates pour viole de gambe et clavecin, 6 Sonates et Partitas pour violon, Suites pour violoncelle, Sonates pour violon et clavecin, Sonates en trio pour orgue, Chorals Schübler pour orgue, Suites anglaises, Suites françaises et Partitas pour clavecin, Concertos brandebourgeois. Mais aussi 15 Inventions et 15 Sinfonies, 18 Chorals de Leipzig pour orgue, 27 pièces pour orgue dont 21 chorals dans la Clavierübung III, 30 Variations Goldberg dont 9 canons pour clavecin, 48 Préludes et Fugues pour le clavier (en 2 volumes du Clavier bien tempéré, dont le nombre est bien sûr imposé par le principe des tonalités)…

Sorte de Clavierübung V, L’Art de la Fugue répartirait alors ainsi ses 24 contrepoints structurés, rectus et versus groupés par catégorie selon une gradation de complexité imposant l’abandon progressif des séquences de divertissements libres au profit des seuls éléments rigoureusement thématiques, dans un maillage de notes toutes issues de la cellule initiale bien éloigné des bavardages baroques :

4 fugues à 1 sujet

4 fugues à 1 sujet avec renversement, augmentation et diminution

4 fugues à 2 et 3 sujets avec renversement, augmentation et diminution

4 fugues à 4 sujets  avec renversement, (augmentation et diminution)

4 fugues miroirs

4 canons

 Il serait d’ailleurs étonnant que Bach, sachant que personne au monde n’était en mesure de réaliser des contrepoints aussi complexes mais surtout aussi beaux et émouvants, ayant abondamment développé des fugues simples, deux prodigieuses fugues à trois sujets et deux paires de fugues miroirs qui sont des prouesses d’une invraisemblable virtuosité d’écriture, n’ait prévu de consacrer qu’un seul contrepoint au domaine de la quadruple fugue.

Dernier indice troublant, cette mention manuscrite portée au verso du feuillet inachevé : Und einen andern Grundplan, « et un autre plan de base », qui laisserait supposer un changement de structure de l’œuvre en cours de réalisation.

Dans des conditions aussi chargées d’incertitudes, on ne peut bien sûr pas dégager l’ordre des pièces que Bach aurait pu prévoir, que ce soit au travers des manuscrits dispersés (qui contiennent donc quinze fugues, deux versions du canon par augmentation et deux versions du canon à l’octave ainsi que la paire de fugues miroirs adaptée pour deux clavecins), ou de l’édition gravée (qui rassemble 17 fugues, quatre canons, la paire de fugues à deux clavecins et un choral), chaque interprète ayant la liberté de construire son propre édifice à partir de ces matériaux.

Bach a rédigé la majeure partie de son œuvre sur quatre portées selon un mode traditionnel d’écriture polyphonique, que les musiciens savaient aisément réduire à vue au clavier. Par ailleurs aucun doute n’est permis quant à sa destination au clavecin, ou mieux au clavicorde dont les nuances permettent de souligner chacune des voix. L’ensemble est admirablement adapté au clavier, à quelques détails près, et à l’exception des fugues miroir qui présentent de nombreux écarts de dixièmes nécessitant la troisième main que préconisait Lebègue, et quatre mains pour le couple miroir à deux clavecins, musica domestica rappelant les quatorze canons écrits peu de temps avant sur une page de son exemplaire personnel des Variations Goldberg (dont certains d’ailleurs ne sont réalisables qu’à l’aide de deux instruments). Mais l’abstraction et la subjectivité qui caractérisent l’œuvre autorisent toutes les tentatives combinatoires instrumentales imaginables, et si le terme de Klavier englobe l’ensemble des instruments à clavier, Bach adopte néanmoins une écriture spécifique selon qu’il écrit pour le clavecin ou pour l’orgue. Ce dernier, malgré le plaisir qu’on y peut éprouver et le fait que l’avertissement de 1751 stipule que le cycle est destiné au clavecin ou à l’orgue, est peut-être le moins à même de mettre en valeur la quadruple polyphonie, par une concentration trop serrée sous les seuls dix doigts de la main : une exécution manualiter n’offre pas une parfaite lisibilité, et Bach dans ses Orgelmotetten répartit ses quatre voix (fugues de la Toccata en fa ou de la Dorienne) dans le vaste ambitus de quatre octaves que permet le pédalier, auquel il confie toujours des motifs parfaitement adaptés au jeu des pieds (ce qui est loin d’être ici le cas). Enfin l’écriture en imitation pure ne permet pas d’isoler la basse – dont la fondamentale constitutive de seize pieds ne saurait s’insérer dans les voix supérieures – du reste de la polyphonie.

Punctus contra punctum, « point contre point », L’Art de la Fugue n’est pas un traité de contrepoint ou de polyphonie, ni un catalogue exhaustif des diverses manières de varier un thème en imitation : pas de contrepoint rétrograde (déjà au XIVème siècle, le motet Ma fin est mon commencement de Machaut se lisait du début à la fin comme de la fin au début…), pas de ces fugues à cinq ou à six voix dont Bach se fit maître dans le choral Aus tiefer Not ou le Ricercare de l’Offrande musicale. Egalement peu de correspondances numérologiques (en dehors du fait que l’œuvre compte le même nombre de mesures que le premier volume du Clavier bien tempéré, sans la fugue inachevée : 2135 …). Son titre même a-t-il été choisi par le compositeur ? De la main d’Altnikol sur le manuscrit, Kunst der fuge fut définitivement repris dans la publication. Mais Bach n’emploie que le terme de Contrapunctus. Jamais Fuge ne figure, et le mot Exempel utilisé dans la petite annonce ne reflète pas non plus l’esprit didactique du maître qui titre délicatement inventio ou sinfonia la petite pièce qu’il compose en présence même de son élève.

Vaste fresque onirique de poésie mystique, L’Art de la fugue, dont le thème issu du mélisme grégorien reprend dans sa forme droite la ligne mélodique du « Credo » luthérien Wir glauben all, et dans sa forme inversée celle du « De profundis » Aus tiefer Not, transcende toute notion de profane et de sacré.

Nul ne saura jamais ce que fut le grand dessein d’un monument qui prend place parmi les manifestations les plus colossales de l’intelligence humaine : pyramides, temples, cathédrales, peintures de la Sixtine. Peut-être une Recherche du temps perdu à laquelle le créateur n’aurait pas « mis le mot « fin » » ?